Références

  • Titre : « Comprendre la logique des combats rapprochés – Le positionnement contre plusieurs adversaires »
  • Titre original : « Hakuheisen-no-ken ri o yomu – tateki no kurai / (白兵戦の剣理を読む-多敵之位) »
  • Revue : Gekkan Hiden (月刊 秘伝) n°182, 11/2003.
  • Traduction : Katori-ressources

Catégorie : Récit de rencontre avec Otake Risuke

Comprendre la logique des combats rapprochés - Le positionnement contre plusieurs adversaires

Une manière de vivre baptisée “l’art de la paix” créée d’après la réalité du champ de bataille

Otake_Gekkan_Hiden_2003

Dans cette première partie, nous allons nous intéresser à l’école Tenshin shōden Katori shintō qui, comme vous le savez, est à l’origine du kenjutsu ancien. Lors des guerres de la période Muromachi cette école fut créée pour les combats rapprochés (hakuheisen/ 白兵戦). À travers elle, on recherche les formes originales des techniques anciennes de sabre.

Rédacteur de l’article : l’équipe de rédaction de Hiden.

Introduction

L’école Tenshin shōden Katori shintō a été fondée par Iizasa Chōisai Ienao. Elle est considérée comme la première école qui a organisé les règles du bujutsu. Elle est réputée avoir eu une très grande influence sur les autres écoles de bugei ultérieures. Cette école comprend des techniques de sabre, mais aussi des techniques de iai, naginata, yari, jūjutsu et de shuriken. On trouve aussi des techniques de construction des forteresses, du ninjutsu et des arts divinatoires. C’est ce que l’on appelle le grand système des “18 arts martiaux” (Bugei Juhappan / 武芸十八般) [oeuvre de référence : Nihon-no-Kobudō dirigé par Yokose Tomoyuki].

Les textes suivants rapportent les paroles prononcées par maître Otake Risuke qui enseigne l’école Tenshin shōden Katori shintō (abrégée en école Katori shintō ou école Shintō) à Narita, préfecture de Chiba, près du temple de Katori.

Quand on parle de kenjutsu des écoles anciennes quelle scène allez-vous, vous lecteurs, vous imaginer ? Il est difficile d’avoir une idée correcte de choses que nous n’avons pas vues par nous-mêmes. Comment étaient ces techniques de sabre des écoles anciennes à l’époque où l’école de Katori shintō a été créée ? Il faudrait commencer par aborder ce sujet.

Par exemple, le iai a été originairement créé pour se défendre contre une attaque au cours de la nuit. Le iaijutsu est une technique qui tire profit des caractéristiques des yeux des êtres humains ; en effet, la vision humaine est plus large lorsque l’on fixe un point depuis une position basse dans l’obscurité. Pendant la journée, ce n’est pas nécessaire d’être en iai-goshi, position basse avec le sabre dans le fourreau ; dès le début, on peut sortir le sabre et attaquer”.

Comment réagir à une attaque dans la nuit est donc l’un des thèmes du iai dans l’école Shintō. Dans cette école, à la différence des autres écoles, on ne dégaine pas le sabre en position de seiza, car on ne portait jamais le sabre à l’intérieur des maisons de samouraïs. Les techniques de combats rapprochés sont créées naturellement pour répondre à des situations quotidiennes, c’est le cas du iai de l’école shintō. Ces techniques étaient utilisées pour réagir contre plusieurs adversaires. Lors d’une attaque de nuit dans l’école shintō on prenait immédiatement la position particulière du iai :

Les techniques de iai de l’école shintō nous permettent de sauter à droite ou à gauche depuis la position initiale et de couper l’adversaire à la moindre lueur de son katana. Ensuite, après avoir tranché les adversaires, on revient à la position d’origine et on se prépare pour l’ennemi suivant”.

Je veux attirer l’attention sur un point concernant l’école shintō. En tant qu’art de combat quotidien, elle présuppose de nombreux ennemis à n’importe quel moment. C’est pour ça que quand le sabre est sorti du fourreau il n’est rangé jusqu’à ce que tous les adversaires aient été tués. À partir de ce moment-là, on effectue le chiburui caractéristique de cette école où l’on frappe la tsuka :

Les gens disent que ce n’est pas possible de faire tomber le sang de cette manière. En effet, le sang ne tombe pas réellement comme cela. Cependant, c’est la même chose avec le chiburui classique. C’est une simple façon de faire. En réalité, après avoir coupé un ennemi, on peut essuyer le sang avec un bout de tissu et après on peut ranger la lame dans le fourreau”.

En lisant jusqu’ici, vous devez être surpris de la différence entre l’école shintō qui est plutôt comme “Hissatsu Shigotonin” [drama de samouraïs] et l’image que l’on se fait du kenjutsu. Cette image va encore être détruite :

Dans l’école shintō, il y a un enseignement oral concernant la manière d’obscurcir l’espace autour de soi. On écrase du charbon de bois de chêne pour en faire de la poudre. On disperse cette poudre autour de soi. Les particules de chêne sont très fines et font corps avec l’air. Avec cette technique, l’adversaire ne peut nous distinguer”.

C’est comme les ninjas !

En plus de cela, il y a, par exemple, une manière précise de marcher quand on se trouve dans une pièce de six ou de dix tatamis, etc. On doit marcher dans le sens des traits des tatamis et grâce à cela, on peut marcher de bout en bout sans faire aucun bruit”.

C’est un point que nous voulons vous faire comprendre quand nous avons commencé à rédiger cet article consacré au kenjutsu. À cette époque, les arts de combats prévoyaient de nombreux ennemis. Cette image est complètement différente du kenjutsu qui s’est développé après l’époque d’Edo ou le tachi-iai (les techniques de iai debout) est devenu le courant principal dans les dōjō :

C’est tout à fait normal d’avoir un système de combat global dans l’école Shintō car elle a été créée lors des combats rapprochés sur le champ de bataille et elle n’est pas née dans les dōjō”.

Technique de iai lors d'un combat nocturne par maître Otake Risuke.
Technique de iai lors d’un combat nocturne par maître Otake Risuke.

“L’art du positionnement contre plusieurs ennemis” de l’école shintō où l’on coupe devant et sur les côtés

Dans l’école Shintō, on suppose toujours un combat rapproché. Les situations dans lesquelles on est entouré de plusieurs ennemis sont exceptionnelles. En effet, pour ne pas se retrouver dans cette situation, il existe de nombreuses techniques de combat et des stratégies militaires. Cependant, j’ose poser la question si il existe des cas exceptionnels :

Par exemple dans les documents hérités de l’école de Shintō, il y a un passage qui évoque des techniques pour une situation où trois ennemis se trouvent devant, à droite et à gauche. Dans le cas où l’on combat contre plusieurs ennemis, il y a un principe de base : on ne peut pas s’en sortir si on est entouré devant, derrière, à droite et à gauche. Donc il faut faire attention à chaque ennemi pour ne pas en avoir un dans le dos. À ce moment-là, il est très important de mesurer l’espace en reculant vers l’arrière.
1er tachi : “Premièrement, on se débarrasse de l’adversaire positionné à droite. Il s’agit d’une question de vision. À cause de la saisie du sabre de la main droite, la vision du côté droit est plus étroite. Dans ce premier tachi, si l’adversaire adopte une garde basse, même si l’on reçoit la coupe avec le sabre, on le coupe par le dessus. Dans le cas où l’adversaire prend une garde haute, on recule le pied droit, on tranche la partie inférieure de la jambe (sune / 脛). De toute façon, c’est important d’abattre cet ennemi et à tout prix.
2e tachi : “Ensuite, il faut attaquer l’ennemi de gauche. Il est important d’attaquer depuis une garde basse après le premier adversaire. On peut soit couper de haut en bas ou bien balayer le sune. Cette technique est décrite dans un chapitre intitulé “le secret du positionnement” (Kuraidzuke hiden/ 位付秘伝) dans le Mokoruko de l’école Shintō. Basiquement, la garde basse est la plus avantageuse dans l’art du positionnement. Dans le cas des combats en face à face, la personne en posture basse gagne. Si on place son sabre en dessous du sabre de l’adversaire, on gagne. On peut gagner même si notre attaque arrive un peu en retard par rapport à la sienne.
L’adversaire en face : “Il reste l’adversaire de devant, mais après avoir tué les deux autres ennemis, aucun adversaire ne resterait ici, il partirait en courant (rires)”.

“Positionnement contre plusieurs adversaires” [Combat contre trois personnes]. Dans l’école de Shintō qui présuppose des combats rapprochés, il est exceptionnel d’avoir une situation où l’on est entouré de plusieurs ennemis. Cependant, si on se trouve dans cette situation, on réagit ainsi.

Les kuzushi et les techniques secrètes qui ne sont pas publiquement montrés

Dans l’école de Shintō, en tant que stratégie militaire au quotidien, on imagine de nombreux ennemis. Donc, il n’y a pas de katas spécifiquement pour de nombreux adversaires. Dans le combat réel, on combat contre l’adversaire qui nous attaque. Il n’y a que ça comme nous venons de le comprendre en regardant la réaction contre plusieurs adversaires dont nous venons de parler. Tout doit être décidé en une seule seconde. On attaque sans recevoir. De cette manière, le corps apprend à bouger très rapidement. C’est le but de l’entraînement aux katas de l’école de Shintō”.

Maintenant, je voudrais parler des katas de l’école de Katori Shintō. Par exemple, les katas de kenjutsu de la série “Omote-no-Tachi” : “Chacun effectue des attaques et des mouvements de protection. Il y a beaucoup plus de mouvements en kumitachi [= katas réalisés à deux] que dans les autres écoles et les katas sont très longs” (Source : Nihon-no-Kobudō).

C’est vrai que dans les katas de l’école de Shintō, il n’y a pas de techniques gagnantes (kimarite / 極まりて) qui soient visibles et en plus il y a beaucoup de mouvements donc d’apparence, cela ressemble à du chanbara. Lors de l’époque Sengoku, les techniques de ken étaient gardées secrètes à tout prix pour ne pas que l’ennemi découvre notre stratégie. À vrai dire, ce genre de katas sont des katas d’entraînement général ce n’est pas très grave s’ils sont vus par d’autres écoles. Lors des vrais entraînements, il y a un niveau avancé qui s’appelle “kuzushi” (崩し) que l’on ne montre presque pas à l’extérieur de l’école, même de nos jours”.

Les kuzushi sont des techniques enseignées aux étudiants qui ont plus de trois ans de pratique. On leur apprend alors les techniques ultimes cachées derrière les katas de l’entraînement général. Ces techniques ultimes incluent “les secrets du positionnement” (Kuraidzuke hiden) que nous avons présentés pour expliquer le combat contre plusieurs adversaires. Il semble que l’on apprenne ces techniques une par une.

Dans les katas à l’instar du chanbara lors de l’entraînement général, on coupe plusieurs fois et on est aussi coupé plusieurs fois par l’adversaire. Originellement, dans l’école de Shintō, on vise les points vitaux entre les parties faibles de l’armure tels que les poignets, l’artère carotide, etc. Donc, à la base, on ne fait pas de grands mouvements, sinon, l’adversaire peut les voir venir. Dans les katas de l’école de Shintō, en réalité, on répète les attaques et les mouvements de protection comme si l’on faisait traverser une aiguille dans un trou entre kirikomi (celui qui attaque) et uke-tachi (celui qui reçoit l’attaque)”.

C’est vrai que si l’on regarde les katas de l’école de Shintō et que l’on suppose les techniques de kuzushi alors les spectateurs lambda peuvent clairement voir le moment où la personne est coupée et l’aptitude de chacun des combattants. Dans l’école de Shintō, il y a un enseignement qui dit : “S’il y a le temps de recevoir, alors on coupe”. Dans les katas de niveaux avancés, on a à peine le temps de recevoir la coupe que l’on attaque. Il n’y a pas de temps pour respirer.

Qu’en bien même une personne est très entraînée, une fois l’artère sectionnée, elle ne peut vivre plus d’une minute. Dans cette situation, il n’y a pas d’éléments tels que la force ou la faiblesse, avoir un grand ou un petit corps qui comptent. Dans l’école de Shintō, on doit respecter des raisons logiques, on a pas besoin de réfléchir, il faut simplement se conformer à la logique de l’école. Moi, je dis souvent à mes élèves qu’il faut que le corps bouge même en pensant à son travail du lendemain pendant l’entraînement”.

Cependant, si on pense à l’inverse, il faut à tout prix éviter que cette logique ne soit découverte c’est pour ça qu’il existe des katas qui cachent les techniques ultimes.

Kata de sabre nommé Itsutsu-no-tachi de la série Omote-no-Tachi
Kata de sabre nommé Itsutsu-no-tachi de la série Omote-no-Tachi
Kuzushi du kata Itsutsu-no-Tachi [secret du positionnement]. Tout à gauche, kirikomi pique entre la fente de l'armure de l'adversaire. Images suivantes : la garde basse est la plus avantageuse. Lors d'un duel, la personne en garde basse a toutes les chances de gagner. Une fois, la lame au-dessus du sabre adversaire, on peut couper et gagner.
Kuzushi du kata Itsutsu-no-Tachi [secret du positionnement]. Tout à gauche, kirikomi pique entre la fente de l’armure de l’adversaire.
Images suivantes : la garde basse est la plus avantageuse. Lors d’un duel, la personne en garde basse a toutes les chances de gagner. Une fois, la lame au-dessus du sabre adversaire, on peut couper et gagner.

Un réalisme nommé “règle de paix” hérité d’une histoire longue de 600 ans

Ainsi l’école de Katori shintō a poursuivi inéluctablement son idéal de réalisme. Cependant, c’est étonnant de remarquer qu’à l’intérieur de sa longue histoire de 600 ans et en tant qu’école la plus ancienne de bujutsu, on ne trouve jamais aucune mention de duel.

Dans l’école de Shintō depuis l’époque du fondateur Iizasa Chōisai Ienao les duels avec les autres écoles sont strictement interdits”.

Cependant, malgré cela, le nom de Katori était connu dans le Japon entier et il devait donc y a avoir de nombreuses demandes de duel de la part des autres écoles. Que s’est-il passé dans ces cas-là ?

Dans l’école de Shintō, il y a “l’enseignement des feuilles de bambous” (Kumazasa no oshie). Cet enseignement se fonde sur la vie du fondateur. Quand le maître-fondateur recevait une demande de duel de la part d’un membre d’une autre école, il l’invitait d’abord à s’asseoir sur un petit tapis de feuilles de bambous en lui disant que s’il était capable de s’asseoir ainsi alors il accepterait le duel. L’adversaire était surpris, car le maître était lui capable de s’asseoir sans qu’aucune des feuilles de bambous ne se casse. L’adversaire ne pouvait alors qu’admettre sa défaite sans combattre devant cette capacité surhumaine”.

C’est justement ce qui se nomme au Kendō “gagner avec son rang”. En fin de compte après s’être entraîné intensément aux techniques, l’école de Shintō a élaboré des idées particulières : “Le principe de ne pas combattre est l’art de la paix”.

Ceci n’est pas le simple principe de ne pas combattre, c’est un enseignement qui demande de perfectionner sa technique jusqu’au degré où il n’est plus nécessaire de se battre contre l’adversaire. Donc à toutes les générations de l’école de Shintō a été confiée la mission d’accomplir avec perfection les techniques. Cette mission a été poursuivie, ce fait est bien prouvé, car les techniques de l’école de Shintō ont été conservées d’une façon presque impeccable, et ce jusqu’à maintenant”.

Il est vrai que l’école de Shintō qui est la plus ancienne école du Japon conserve un système de techniques de bujutsu global d’une manière quasi parfaite. C’est presque un miracle si l’on regarde la situation de conservation des bujutsu anciens à notre époque.

Par rapport à cela, le fait de combattre était la solution facile. Cependant, si l’on avait fait cela, je suppose que l’école de Shintō n’existerait plus de nos jours. En pensant à cela, on s’étonne de la grandeur du maître-fondateur Chōisai. En fin de compte, sa philosophie élaborée il y a 600 ans a permis de soutenir l’école jusqu’à maintenant. Et ceci nous soutiendra encore dans le futur”.

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