
Références
- Titre : « Les secrets de l’escrime de l’école Tenshin shōden Katori shintō »
- Titre original : « Hiden no tachisuji Tenshin shōden Katori shintō ryū / 秘伝の太刀筋 天真正伝香取神道流 »
- Revue : Kendō Nihon (剣道日本) n°462 (08/2014)
- Traduction : Katori-ressources
Catégorie : Récit de rencontre avec Otake Risuke
Les secrets de l'escrime de l'école Tenshin shōden Katori shintō
Sommaire
- Introduction : Pourquoi les techniques de l’école Tenshin-shōden-Katori-shintō sont-elles aussi longues ?
- 1. Une accumulation de sagesses beaucoup plus grande qu’un art martial global (bujutsu sōgō)
- 2. Les kuzushi que l’on ne peut enseigner à cause de leur dangerosité
- 3. Télépathie au-delà de l’intelligence humaine
- 4. Le nombre d’étrangers qui entre dans l’école augmente fortement
- 5. Une partie des secrets ultimes
Introduction : Pourquoi les techniques de l’école Tenshin-shōden-Katori-shintō sont-elles aussi longues ?

J’ai regardé plusieurs démonstrations de l’école Katori-shintō lors des festivals d’arts martiaux traditionnels. Il y a une chose que je n’ai jamais comprise c’est pourquoi chaque kata de kenjutsu est aussi long. Dans un seul kata, il faut attendre que les pratiquants aient cogné 5 ou 6 et parfois même 10 fois leur sabre en bois avant de savoir qui a gagné et qui a perdu. Je ne pense pas que les vrais combats étaient aussi longs et que même si l’on imagine qu’ils l’étaient, les phases offensives et défensives ne se déroulaient pas forcément dans l’ordre prévu. Quand je lis la brochure donnée lors des festivals d’arts martiaux traditionnels, il est expliqué que « Pendant l’entraînement, les armes se frappent violemment, mais en vérité, il s’agit de coupes ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
Si j’en ai l’occasion, j’aimerais poser des questions au sujet de cette escrime. Ainsi, pour pouvoir présenter aux lecteurs de cette revue la logique de ces longues techniques, j’ai visité le dōjō de Shinbukan de la ville de Narita (préfecture de Chiba) où Maître Otake Risuke et Kyoso Shigetoshi, son deuxième fils, s’entraînent.
1. Une accumulation de sagesses beaucoup plus grande qu’un art martial global (bujutsu sōgō)
On dit qu’Iizasa Chōisai Ienao (1387-1488) a fondé l’école de Tenshin-shōden-Katori-shintō après s’être entraîné et après avoir prié mille jours et mille nuits dans le sanctuaire de Katori. L’école de Tenshin-shōden-Katori-shintō appartient à l’un des courants de kenjustu les plus anciens avec la Nen-ryū, la Chukō-ryū, etc. L’histoire de cette école reste sans comparaison dans la mesure où elle s’est transmise dans interruption au sein de la famille de Ienao pendant 600 ans. Actuellement, Iizasa Yasusada est le sōke de la 20e génération.
Maître Otake Risuke est né lors de la période Taishō 15 et il a actuellement 88 ans. Il est entré dans l’école en Shōwa 17 et il s’est entraîné auprès de maître Hayashi Yazaemon qui est considéré comme « le père de la renaissance de l’école ». En Shōwa 35, sous le sōke Iizasa Yasusada, l’école Tenshin-shōden-Katori-shintō est désignée comme « bien culturel immatériel » de la préfecture de Chiba. Maître Otake, Nobutoshi, son fils ainé, et Kyoso Shigetoshi, son deuxième fils, sont également désignés comme tels.
Les techniques de l’école Katori-shintō comprennent : des katas de Kenjutsu dont 4 articles d’Omote-no-tachi (techniques en armure), 5 articles de Gogyō-no-tachi (sans armure), 4 articles de Ryōtō, 5 articles de Kodachi ; des katas de iaijutsu dont les séries Omote-no-iai, Tachiai-battōjutsu et Gokui-iai, soit 16 articles en tout ; on utilise également d’autres armes : 6 articles de Bōjutsu, 4 articles de Naginatajutsu, 6 articles de Yarijutsu et Shurikenjutsu. Du Jūjutsu (36 articles) est également transmis. Mais ce n’est pas fini, sont aussi enseignés le Ninjutsu, le Tonkōjutsu, les Kuji, les Jūji (techniques de signes ésotériques issus du Mikkyō), le Hōjutsu (étude des directions), le Gunbaihō (techniques de direction des mouvements offensifs et défensifs des armées sur le champ de bataille), le Noroshi (communication à distance avec le feu), le Kigaku (technique de prédiction de l’avenir en fonction de l’année de naissance), le Chikujōho (technique de construction des forteresses), etc. Ainsi, en tant qu’art martial global (bujutsu sōgō), les techniques de combat sont transmises, mais aussi toutes sortes de sagesses qui concernent la vie générale de l’être humain sont également enseignées.
Dans le livre « Heihō » écrit par M. Otake (Nippon Budokan, Baseball Magazine Co., Ltd), il présente une partie de ce genre de techniques, par exemple, il explique comment se débarrasser de la « malédiction du renard (kitsune) ». Dans cette œuvre, on peut découvrir cet aspect profond et étonnant de la tradition japonaise et qui peut faire évoluer nos conceptions du bujutsu. Je conseille de lire ce livre à toute personne intéressée par ce sujet.
2. Les kuzushi que l’on ne peut enseigner à cause de leur dangerosité
Je m’intéresse sans fin au iai et au grand saut effectué pour dégainer le sabre, mais cette fois-ci le sujet est l’escrime (tachisuji). Quand j’ai demandé à Maître Otake des précisions sur la série Omote-no-tachi, il nous a répondu ainsi : « En réalité je coupe à chaque fois, à chaque mouvement de sabre l’adversaire est mort, mais on ne montre par la vraie technique, c’est-à-dire qu’on ne le montre même pas entre parents, entre grands frères et petits frères. Même maintenant quand on fait le Keppan, on jure puis on rentre dans l’école. De cette manière les vraies techniques ne sortent jamais à l’extérieur de l’école pour empêcher qu’elles ne soient volées. Dans les techniques présentées lors des démonstrations, les mouvements deviennent différents et on continue l’action suivante. Dans la plupart des mouvements, on reçoit le coup en esquivant le corps. Mais cette technique est faite pour couper son adversaire. On dit que le secret est : ‘couper si on a le temps pour recevoir’. Donc même si on regarde la démonstration, on ne sait pas où l’on coupe. Les autres maîtres nous disent : ‘Dans l’école Katori-shintō on frappe beaucoup, le sabre doit être abîmé de partout, n’est-ce pas ?’ Mais je réponds simplement ‘Vous avez peut-être raison’. Je ne peux pas dire ‘En vrai, ce n’est pas comme ça, on coupe une autre partie’ ».
Par exemple, dans la séquence présentée en photographie, on suit le scénario suivant : d’abord, les adversaires croisent les sabres tous les deux, puis la personne à gauche coupe la fémorale à l’intérieur de la cuisse, puis l’adversaire esquive. C’est la trame de la technique. Originellement, quand les sabreurs croisent les armes, la personne de gauche entre de manière fluide et coupe son adversaire. Cependant, on cache ce mouvement et pour continuer le kata, on coupe l’antérieur de la cuisse et les techniques peuvent s’enchaîner. Au final, les deux sabres se frappent plusieurs fois ; mais en réalité, chaque fois l’un des deux coupe l’autre et gagne. Le même côté ne gagne pas à tous les coups. Ça s’organise ainsi : un côté gagne puis l’autre.
La technique de coupe réelle se nomme « kuzushi ». Cependant si cette technique est mal maîtrisée, elle peut engendrer une grande blessure. On ne l’enseigne qu’au niveau « Menkyo ». Même si on a appris les kuzushi, on ne peut pas les appliquer. On ne les apprend qu’en tant que connaissance pour savoir réellement ce qu’il faut faire.
Il y a une manière particulière d’effectuer le keppan lors de l’entrée dans l’école. On coupe l’annulaire gauche, puis on met le pouce droit sur le sang et on appuie le keppan sur le nom et prénom. Ainsi, si une personne vient dans le dōjō principal de Katori pour se perfectionner en prétendant avoir appris dans un autre endroit, on lui demande comment il a effectué le keppan lors de son entrée dans l’école. On peut ainsi savoir s’il est réellement entré dans l’école. On peut alors supposer qu’à une époque une personne a essayé de voler les techniques par ce biais. Pour que les techniques ne soient pas volées, on a créé ces règles très strictes. De nos jours, Maître Otake montre au public la manière de faire le keppan dans son livre. Mais quand même les règles sont respectées.
Pour cette raison, je ne peux pas présenter d’une manière détaillée en photographies une série d’escrime (tachisuji), mais « comme vous avez pris la peine de venir nous visiter, je vous invite à regarder » nous a dit M. Otake et il nous a montré les kuzushi en donnant des explications.
Dans chaque combat, un côté coupe un autre côté puis il y a la victoire. Il s’agit d’une scène d’attaques et de défenses très réaliste qui me laisse penser que si on se bat réellement avec un sabre japonais ça sera comme cela. L’une des raisons pour laquelle les techniques sont longues, c’est pour nourrir la force physique afin de ne pas être épuisé par les combats sur le champ de bataille.

3. Télépathie au-delà de l’intelligence humaine
Parmi les personnes qui sont entrées dans l’école en prenant le keppan il y a Okada Junichi (岡田 准), vedette de la chanson (V6). C’est ce monsieur Okada qui joue le rôle principal dans la célèbre série diffusée par NHK : “Gunshi Kanbei” (軍師官兵衛). Selon M. Otake : « Il me semble qu’il a déjà eu une expérience dans une autre école. Il est très doué. Normalement, ça prend une semaine pour maîtriser. Lui, il peut tout mémoriser en deux heures ». Au tout début, l’élève de l’école Katori shintō apprend les quatre katas de la série Omote-no-Tachi. Cependant, ce n’est pas facile toutes ces formes aussi longues pour des débutants : « C’est difficile à mémoriser la première fois. On mémorise avec la tête entre 3 et 5 ans. Puis on mémorise avec le corps de 5 à 10 ans. Si on peut tout réaliser en pensant à ce que l’on va faire demain, c’est très bien ». Dans l’école Katori shintō, il n’y a pas de dan. Il existe trois niveaux : Mokuroku, Menkyo et Gokui. Pour chacun, on reçoit un rouleau (makimono). L’ordre des techniques que l’on apprend est fixé. Par exemple, on apprend assez tôt les techniques de iai, environ six mois après l’entrée dans l’école, car on considère que le fait de savoir manipuler un katana et d’approfondir la connaissance du sabre sont très importantes pour apprendre le kenjutsu. En ce qui concerne les Gogyō qui sont des techniques de kenjustu sans armure, on les apprend après avoir bien maîtrisé le bōjutsu et la naginatajutsu et après avoir reçu le mokuroku. Et puis, comme je vous l’ai expliqué avant, la personne qui peut enseigner les kuzushi doit avoir une qualification supérieure à celle de menkyo.
Les maîtres Kyoso Shigetoshi et Lee Daniel ont donné une démonstration de bōjutsu et de naginatajutsu puis ils nous ont montré une technique secrète (gokui) qui s’appelle « hashi kakaru » (はしかかる). Elle est utilisée pour vaincre avec un sabre contre les armes longues (bō, yari et naginata). Ils nous ont également aussi montré la technique secrète de metezashi » (馬手刺し) (ou « migitezashi » /右手刺し) qui consiste à porter la dague dite Yoroidōshi / 鎧通し (“le perceur d’armure) sur le côté droit du corps, la poignée derrière et le kojiri devant (de cette manière, un adversaire qui arrive de face nous pourra pas le retirer). En outre, on peut également écouter de nombreuses histoires concernant le sabre racontées par M. Otake qui est membre du jury du « Bureau d’enregistrement et d’évaluation des armes à feu et des sabres » de la préfecture de Chiba.
M. Donn F. Draeger possédait le 7e dan de kendō, de iaidō et de jōdō. Il était également un expert dans de nombreux autres arts martiaux tels que le judō, le karaté et le Kusarigamajutsu. Il est entré dans l’école Katori shintō à l’âge de 44 ans, en Shōwa 44. Après huit ans, il est devenu menkyo. Donn Draeger s’est posé la question suivante : « Y-a t’il quelque chose de plus profond dans l’école Katori shintō que la répétition des katas ? ». En réponse, M. Otake lui a enseigné les kuzushi : « On raconte que s’est en découvrant les kuzushi que Donn Draeger a dit : ‘C’est une technique au-delà de l’intelligence humaine’. Je n’ai pas d’autre expression concernant ces techniques et si j’ose dire c’est une sorte de télépathie ».
J’ai seulement écouté ces histoires pendant un temps très court. Cependant, j’ai appris qu’il y avait dans cette école une très profonde sagesse au sujet du combat, du sabre japonais et de toutes sortes d’armes. Il y a ici toute cette sagesse illimitée.
4. Le nombre d’étrangers qui entre dans l’école augmente fortement
J’ai été très surpris en regardant les tablettes avec le nom des étudiants accrochées dans le dōjō. Celles-ci sont rangées dans l’ordre d’entrer dans l’école. Parmi les plus récentes, il y a beaucoup de noms en katakana. Ainsi, sur ces dernières années, après une vingtaine de noms étrangers, un nom en kanji apparaît enfin. « Quand je regarde le cahier, actuellement, il y a 750 étrangers qui viennent de 25 pays différents. Les étrangers ont augmenté d’un coup depuis 4/5 ans ». Les raisons de cette augmentation ne sont pas très claires. Mais je suppose que c’est en lien avec le lieu, c’est proche de l’aéroport de Narita. Bien sûr, c’est une bonne chose que des étrangers apprennent cette école et que les arts martiaux traditionnels japonais se répandent dans le monde. Cependant, plus de Japonais qui pratiquent le Kendo pour apprendre à manipuler un sabre devraient entrer dans cette école. Ce qui existe ici c’est une technique réelle pour couper l’adversaire. Je peux affirmer clairement qu’il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas savoir en s’entraînant seulement au kendō avec un sabre en bambou.
Grâce aux explications de M. Otake, la question que je me posais depuis longtemps est éclaircie. Quand on regarde une démonstration de l’école Katori shintō, il faut avoir en tête toutes ces informations. Ainsi, notre compréhension est différente, il en va peut-être de même pour les autres écoles traditionnelles d’art martial. La vérité est cachée et l’on montre seulement les techniques d’entraînement. Je comprends alors qu’il est difficile pour une personne extérieure à l’école de juger lors des démonstrations. On se dit : « Je ne comprends pas où il frappe, ce n’est pas logique ». Si l’on veut connaître la vérité concernant l’école Katori shintō, il n’y a qu’à faire le keppan et entrer dans l’école.
5. Une partie des secrets ultimes
C’est une petite partie, mais je vous présente des secrets de l’école Tenshin shōden Katori shintō expliqués par Maître Otake.



Participants : Otake Risuke, Kyoso Shigetoshi, Lee Daniel.
Référence : « Heiho » (Otake Risuke, Nippon Budokan).