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  • Titre : Takenaka Hanbei, un stratège militaire issu de l’école Katori shintō
  • Auteur : Katori-ressources

Catégorie : article de Katori-ressources

Notes : Article en cours de rédaction

Takenaka Hanbei, un stratège militaire issu de l'école Katori shintō

Takenaka Shigeharu (1544-1579), connu sous le nom de Hanbei, est considéré comme l’un des plus brillants stratèges militaires (gunshi) du Japon médiéval. Il mit ses talents au service de Toyotomi Hideyoshi, général d’Oda Nobunaga. Plusieurs traditions issues de l’école Katori-shintō rapportent que Takenaka Hanbei aurait suivi l’enseignement d’Iizasa Yamashiro-no-kami Moritsuna, le 4e sōke de l’école au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle1. Maître Otake Risuke rapporte que Hanbei aurait offert lui-même un exemplaire de son traité intitulé Trois stratégies tirées des Sept classiques militaires à son maître2. D’après une tradition provenant de la branche dite de Noda-ha de l’école Katori-shintō, Hanbei aurait atteint le rang d’“instructeur-avancé” (jōseki-shihan), titre d’enseignement réservé aux disciples ayant reçu le menkyo kaiden, le deuxième rouleau de l’école3. Il nous a semblé intéressant de revenir sur la carrière de Hanbei afin d’aborder à travers son exemple des notions de gunbaihō (stratégie militaire), discipline martiale qui figure au sein du cursus de l’école Katori-shintō.

1. Naissance et éducation militaire (1544-1563)

L’histoire de Takenaka Hanbei (1544-1579) se situe lors de la période dite des “Royaumes combattants” (sengoku-jidai) entre 1477 et 1573. Depuis Kyōto, l’Empereur et le shogun n’exercent plus qu’un pouvoir factice sur un Japon morcelé en provinces de plus en plus indépendantes. À la tête de ces véritables principautés se trouvent de puissants chefs de guerre désignés par le titre de daimyō (litt. “grand nom”) qui exercent leur domination depuis un château-forteresse. L’époque de Sengoku est marquée par d’innombrables guerres à l’intérieur même des provinces (des vassaux tentant de renverser les daimyō) et entre les différentes provinces (des seigneurs ambitieux tentant d’agrandir leur territoire). Parmi ces seigneurs, Oda Nobunaga, daimyō de la province d’Owari, assisté de ses généraux Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, mena la projet d’unifier toutes les provinces du Japon sous son joug. Pour réussir ce projet, Oda Nobunaga avait besoin des services des plus grands stratèges militaires de l’époque comme Takenaka Hanbei originaire de la province de Mino.

1.1. Naissance dans le château d’Ōmidō (1544)

Takenaka Shigechika, le père de Hanbei, était un fidèle soldat de Saitō Dōsan (1494-1556), un puissant seigneur de la province de Mino qui résidait dans le château d’Inabayama. En 1542, il aida Saitō Dōsan à s’emparer de l’ensemble de la province lors d’un coup d’État mené contre le daimyō Toki Yorinari. Saitō Dōsan remercia Takenaka Shigechika de ses services en lui attribuant le château d’Ōmidō. C’est dans ce château qu’est né son fils Takenaka Shigeharu connu sous le nom de Hanbei en 1544. Dans sa biographie consacrée à Hideyoshi Toyotomi nommée Toyo Kagami (1631), Takenaka Shigekado, le fils de Hanbei, apporte certains détails quant à l’enfance de son père. Il est dit que l’enfant avait la santé fragile et que certains comparaient son apparence physique à celle d’une femme pour souligner son manque de force. Cependant, le jeune Hanbei compensait son manque d’aptitude physique en étudiant des ouvrages sur la guerre et sur la stratégie militaire. Ainsi, de part sa constitution physique et de part ses qualités intellectuelles, Hanbei n’était pas destiné à devenir un bushi (guerrier), mais un gunshi (stratège)4.

Figure x. Stèle commémorant la naissance de Takenaka Shigeharu (dit Hanbei) inaugurée en 1996 (ville d'Ōno / 大野郡),
Figure 3. Stèle commémorant la naissance de Takenaka Shigeharu (dit Hanbei) sur le site du château d’Ōmidō inaugurée en 1996 (aujourd’hui ville d’Ōno / 大野郡),

1.2. Fuite au château de Bodaisen (1558)

En 1556, un conflit armé éclata au sein de la famille Saitō. Saitō Yoshitatsu entra en rébellion contre son père et réunit une très nombreuse armée. Les soldats de Saitō Dōsan se trouvaient en infériorité numérique. Malgré cette situation désavantageuse, Takenaka Shigechika resta fidèle à son seigneur. Saitō Dōsan fut tué par les soldats de son fils lors de la bataille de la Nagara-gawa en avril 1556. Celui-ci ne put recevoir à temps les renforts envoyés par Oda Nobunaga, daimyō de la province d’Owari, qui avait épousé sa fille Nōhime. Après la défaite de Dōsan, Takenaka Shigechika et sa famille abandonnèrent le château d’Ōmidō attaqué par les soldats de Yoshitatsu. En 1558, ils s’installèrent dans le village d’Iwate, district de Fuwa, où Shigechika s’empara du château d’Iwateyama (aujourd’hui : Bodaisen). Shigechika mourut en 1560 ou 1562 et le jeune Shigeharu devint alors le chef de la famille Takenaka. Il se maria avec Tokugetsuin, la fille d’Andō Morinari, un puissant seigneur de la province de Mino qui était resté, lui aussi, fidèle à Saitō Dōsan.

1.3. Les premiers faits d’armes du jeune Hanbei (1561-1563)

En 1561 un profond changement s’opéra à la tête de la famille Saitō : Saitō Tatsuoki succéda à son père décédé. Cette nouvelle génération sembla mettre les anciens conflits de côté et Hanbei entra au service du nouveau maître de la province de Mino. Dès son entrée au service de Saitō Tatsuoki, le jeune Hanbei, alors âgé de 15 à 16 ans, put prouver son habilité à diriger des soldats. En effet, alors qu’Oda Nobunaga lançait des raids répétés pour s’emparer de la province de Mino, les stratégies défensives élaborées par Hanbei ont permis de repousser ces attaques. Takenaka Shigekado rapporte dans le Toyo-Kagami que les prouesses militaires de son père épatèrent le daimyō Nobunaga.

2. La capture surprise du château d’Inabayama (1564)

Le 7 février 1564, Takenaka Hanbei et un petit groupe de soldats s’emparent du château d’Inabayama. Hanbei réalise cet exploit alors qu’il n’est âgé que de 20 ans. Cet exploit eut un écho retentissant et finit de convaincre Oda Nobunaga du génie militaire de Hanbei. En effet, le château situé au sommet du mont Kinka, à 329 mètres d’altitude, est considéré comme imprenable et Oda Nobunaga a échoué à la conquérir à de nombreuses reprises jusqu’alors.

Figure x. Vue aérienne du Mont Inaba (aujourd'hui : Mont Kinka)
Figure 5. Vue aérienne du Mont Inaba (aujourd’hui : Mont Kinka)

2.1. Une stratégie militaire audacieuse

Les différentes versions de cette attaque s’accordent sur une même stratégie : Hanbei se rendit au château d’Inabayama pour visiter son frère Takenaka Kyusaku alors malade. Conformément à la pratique de l’époque, les daimyō gardaient en otage dans une partie réservée de leur château des membres de la famille des vassaux pour s’assurer de leur fidélité. Hanbei avait dissimulé des armes dans un coffre. Une fois dans les appartements de son frère, Hanbei et ses samouraïs s’équipèrent et tuèrent des gardes de Tatsuoki. Ce dernier prit de panique s’enfuit du château. Pour sécuriser l’accès au château, Andō Morinari, beau-père de Hanbei, et son armée ont pris place aux pieds de la montagne Inaba. Plusieurs versions de l’attaque rapportent des détails importants concernant la stratégie que Hanbei aurait élaborée.

2.1.1. Au son du tambour

Takenaka Shigekado dans son “Toyo Kagami” apporte des précisions sur le moment exacte choisi par Hanbei pour attaquer et sur l’utilisation d’un signal sonore pour coordonner l’attaque :

Hanbei fit entrer clandestinement des armes enveloppées dans futon de nattes, des vêtements de rechange, et des coffres de médecine. Hanbei s’assit dans la chambre de son frère, mais le petit groupe de serviteurs qui avait accompagné Hanbei pour cette vite se détachaient à suivre secrètement les gardes de Tatsuoki. Quand le soleil a commencé à se coucher à l’ouest et que l’ombre noire de la tour du château qui s’étire du Mont Inaba s’est refletée dans la rivière Nagara, les serviteurs de Tatsuoki ont allumé les lampes du château. La lumière des lampes fut le signal convenu ; puis Hanbei a frappé un simple battement sur un tambour. À ce terrible battement du tambour qui a retenti dans tout le château silencieux, les hommes de Tatsuoki ont été abattus. Dans un état de panique, Tatsuoki enfila la robe d’une femme et se sauva avec les femmes du château. Hanbei avait réussi à capturer le Château lnabayama, presque sans effort.

Ironie de l’histoire ou pointe de vengeance dans le récit, c’est Tatsuoki qui n’hésitait pas à se moquer de l’apparence féminine de Hanbei qui a dû se vêtir des habits d’une femme pour fuir son château.

2.1.2. “Sur ordre du seigneur”

L’auteur Hisaka Masashi (1956-2015) s’est appuyé sur des recherches historiques pour rédiger son roman intitulé Gunshi no Mon, publié en 2008 consacré à Takenaka Hanbei et Kuroda Kanbei, les deux stratèges militaires au service de Toyotomi Hideyoshi. Il rapporte de manière romancée une même ruse utilisée par Hanbei au moins à trois reprises pour s’emparer du château. Cette ruse se fonde sur la psychologie pour « paralyser » les actions des serviteurs de Tatsuoki.
Hanbei et ses compagnons se présentèrent devant les portes du château avec un coffre dans lequel des armes étaient cachées. Le gardien de la porte du château demanda à examiner le contenu du coffre. Hanbei aurait alors dit que le coffre contenait des morceaux de bois parfumés extrêmement rares qu’il apportait au seigneur Tatsuoki comme offrande. La mention d’un cadeau destinée au seigneur suffit à convaincre le garde de ne pas ouvrir le coffre.
Puis, à l’intérieur du château, Hanbei alla trouver Saitō Hida no Kami, l’un des plus proches soldats de Tatsuoki. Pour l’isoler, Hanbei lui dit que Tatsuoki désirait l’honorer en lui offrant un aigle au cou blanc et qu’il devait donc le conduire dans la salle des aigles. Cette récompense octroyée à Hanbei par Tatsuoki a pu sembler étrange à Saitō Hida no Kami, Hanbei était plus objet de rallièries que d’honneur de la part du maître d’Inabayama. Cependant, Saitō Hida no Kami dut obtempérer, car il s’agissait d’un ordre du seigneur.
Au moment d’entrer dans la salle aux aigles, Hanbei assassinat Saitō Hida no Kami en criant “ordre du seigneur”. Cette dernière phrase paralysa les soldats qui se trouvaient à proximité et aucun d’eux n’osa intervenir de peur de désobéir à ce qui était présenté comme un acte commandé par Tatsuoki. Pendant ces phases de confusion, les serviteurs de Hanbei s’étaient armés et avaient pris possession du château.

2.2. La capture du château d’Inabayama : un “simple jeu d’enfant”

Après la prise du château d’Inabayama, Oda Nobunaga envoya à plusieurs reprises un messager auprès d’Hanbei pour lui proposer la moitié de la province de Mino en échange du château. Hanbei déclina la proposition pour au moins deux raisons. D’une part, comme le rapporte Takenaka Shigekado, l’échange proposé par Nobunaga semblait à Hanbei désavantageux. En effet, il aurait sûrement dû faire face à une tentative de reconquête des terres de Mino par Saitō Tatsuoki tandis qu’Oda Nobunaga se trouverait beaucoup moins exposé dans le château d’Inabayama. D’autre part, Hanbei n’a jamais présenté son acte comme celui d’une rébellion, mais comme “un jeu d’enfant” destiné avant tout à donner une leçon à Tatsuoki concernant ses mauvaises manières. Ainsi s’adressant au messager de Nobunaga, Hanbei aurait dit :

Je vous prie de considérer cela comme un simple jeu d’enfant. Mon acte était une simple remontrance à l’ego démesuré de Tatsuoki. Quand le temps viendra, je redonnerai le château à son maître”.

Takenaka Hanbei rendit le château à Tatsuoki en juillet 1564, soit six mois après son attaque surprise. On peut se demander pourquoi Hanbei a-t-il mis autant de temps à le restituer si c’était son idée originelle ? Que fit Hanbei pendant ces six mois au cours desquels il était devenu le seigneur d’Inabayama ? Pour certains historiens contemporains, Hanbei n’avait pas dès l’origine le plan de rendre le château à son propriétaire. Le stratège était partagé entre des ambitions personnelles et un devoir de fidélité. Ce devoir de fidélité lui a été enseigné par son père quand ce dernier resta fidèle à Saitō Dōsan alors que la situation était très défavorable et par le moine bouddhiste Kaisen Jōki (1500-1582) qui enseignait dans la province de Mino et qui se servait des exemples de Takenaka et d’Ando pour illustrer les concepts d’obligation et de fidélité. Ainsi, après une introspection qui dura six mois, Hanbei aurait choisi le chemin de la loyauté envers son seigneur malgré ses défauts5.
Une autre interprétation plus politique peut également être avancée. Pendant qu’il occupait le château d’Inabayama, Hanbei prit des décisions de nature politique comme en témoigne cette lettre qu’il envoya au temple Hōrin bō situé à 5km au sud-ouest du château daté du 29 juillet 1564 (Figure 6). Celle-ci interdit formellement les actes violents, les incendies et le saccage des récoltes pour mettre fin à des conflits qui ont touché le temple. Il se pourrait donc que Hanbei restât suffisamment de temps dans le château d’Inabayama pour légiférer sur certains points avant de se retirer. Le retour au pouvoir de la famille Saitō dut également avoir été négocié avec Hanbei. On constate en effet que Andō Morinari et son fils Sadaharu occupaient encore des postes administratifs très élevés dans la province de Mino après le retour de Tatsuoki et ce malgré le fait qu’ils aient aidé directement Hanbei lors de son attaque surprise.

Figure x. Lettre de prohibition de Takenaka Hanbei.
Figure 6. Lettre de prohibition de Takenaka Hanbei au temple Hōrin bō (29 juillet 1564) conservée dans le temple de Keinen (ancien Hōrin bō) de la ville de Tarui.

2.3. La retraite de Takenaka Hanbei

Selon les chroniques de la famille Takenaka, Hanbei trouva refuge auprès du clan Azai de la province d’Ōmi6. Le chef du clan, Azai Nagasama, était à cette époque un fidèle d’Oda Nobunaga dont il avait épousé la soeur nommée Oichi no Kata. Les biographies romancées de Toyotomi Hideyoshi dont le Toyo-Kagami (1631) et le Ehon-Taikōki (1797) évoquent un tout autre endroit. Hanbei se serait retirer en ermitage à sur le mont Kurihara, situé à proximité du château de Bodaisen. Depuis l’époque de Kamakura (1185–1333), il s’agit d’un lieu religieux important comme en témoignent les vestiges d’habitation de prêtres et les nombreux gorintō et petites statues de bouddha (Figure 7). C’est en ce lieu que Toyotomi Hideyoshi aurait su convaincre Hanbei d’entrer en son service…

3. Au service de Toyotomi Hideyoshi et du clan Oda (1567/69-1579)

Les talents de stratège de Takenaka Hanbei avaient attirer l’attention d’Oda Nobunaga. Le maître de la province d’Owari avait plus que jamais besoin de s’entourer des meilleurs stratèges militaires pour réaliser son projet d’unifier le Japon entier sous son pouvoir. Pourtant, Hanbei entra dans le clan Oda non pas directement au service de Nobunaga, mais de l’un de ses généraux,Toyotomi Hideyoshi, envers qui il resta fidèle jusqu’à la fin de sa vie. [Note : au cours de sa carrière Kinoshita Tōkichirō changea plusieurs fois de noms. Pour plus de clarté, nous utiliserons le nom par lequel il est le plus connu : Toyotomi Hideyoshi].

3.1. Les prémices d’une alliance et premiers combats (1567/1569-1568)

3.1.1. Rencontre entre Hideyoshi et Hanbei (1567/1569)

Les biographies romancées de Toyotomi Hideyoshi racontent comment le général de Nobunaga réussit à s’adjoindre les services de Takenaka Hanbei. Le Ehon-Taikōki relate que le général se déguisa en rōnin, samouraï sans maître, afin d’approcher Hanbei sur son lieu de retraite. Les deux hommes passèrent la nuit à discuter de l’art de la guerre et de la situation politique actuelle du pays. Une confiance mutuelle s’installa rapidement quand le rōnin évoqua le nom de Nobunaga. Alors, Hanbei ne put continuer de faire semblant et avoua avoir reconnu son homme de main. Toyotomi se livra alors : « Je suis encore un enfant et je n’ai jamais appris avec un maître. Je vous en supplie guidez-moi ». Hanbei accepta alors la proposition : « Je peux servir Nobunaga non pas pour détruire Saitō mais pour guider Hideyoshi »7. Le Toyo Kagami parle, quant à lui, de visites répétées de Hideyoshi auprès de Hanbei pour le convaincre. À cette époque Hideyoshi était responsable du château de Sunomata depuis lequel il était chargé de la conquête de la province de Mino pour le compte de Nobunaga. Il rendait visite à Hanbei dès qu’il en avait l’occasion. Hanbei refusa les premières propositions qui lui étaient offertes comme celle d’obtenir un important poste administratif. Enfin, Hideyoshi sut le convaincre en lui parlant d’instaurer la paix dans le royaume :

Je souhaite que cet état de guerre permanent prenne fin. Personne ne sera en paix si ces temps troublés se prolongent. Tout le monde est condamné à devoir survivre… Tout le monde est si désespéré de vivre et si fatigué… Mettre fin à la guerre est la seule chose à faire pour le bien de notre pays […] C’est pour cela que seigneur Nobunaga doit gagner. Hanbei, je veux votre talent pour aider Nobunaga à gagner et ainsi apporter la paix à notre pays ».

Le Toyo Kagami précise qu’à ce moment, Hanbei était âgé de 25 ans et que Hideyoshi avait 32 ans. Cette scène aurait donc eu lieu en 1569. Le récit romancé de cette rencontre est inspiré en partie du roman chinois des Trois Royaumes, mis par écrit au XIVe siècle, et qui raconte comment au cours du IIIe siècle le seigneur Liu Bei sut convaincre Zhuge Liang de sortir de sa retraite pour devenir son stratège.

Figure x. Takenaka Shigeharu et Toyotomi Hideyoshi (Shinsen Taikôki, 1883))
Figure 8. Takenaka Shigeharu (droite) et Toyotomi Hideyoshi (gauche), illustration tirée de Shinsen Taikôki, 1883.

3.1.2. Les conseils de Takenaka Hanbei lors du siège du château d’Inabayama (1567)

Bien que certaines sources tel que le Toyo-Kagami mentionne que Takenaka Hanbei rejoignit le service de Toyotomi Hideyoshi en 1569, il se pourrait, d’après d’autres récits, que Hanbei ait déjà prodigué des conseils au général notamment lors du siège final du château d’Inabayama en 1567.
En 1567, soit trois ans après la conquête surprise du château d’Inabayama par Takenaka Hanbei, Oda Nobunaga, assisté de Toyotomi Hideyoshi, lança une attaque d’envergure contre le château tenu par Saitō Tatsuoki. Cette attaque fut minutieusement préparée depuis près de trois ans. Hideyoshi s’était chargé de convaincre plusieurs grands seigneurs de la province de Mino de rallier la cause de Nobunaga. C’est également au cours de cette période que le général approcha Takenaka Hanbei. Enfin, Hideyoshi fit construire le château de Sunomata sur les rives de la rivière Sai, opposée aux territoires des Saitō, pour en faire le point de départ de l’attaque (Figure 9). Il semble que Takenaka Hanbei joua un rôle important dans la prise du château en donnant des conseils avisés aux assiégeants d’après le Toyo Kagami. Le texte ne donne pas de détail concernant ces conseils. On peut se demander de quelle manière Hanbei influença le plan ingénieux suivi par Toyotomi Hideyoshi et accepté par Oda Nobunaga. Ainsi, pendant que les troupes principales d’Oda assiégeaient les défenses extérieures du château, Hideyoshi et un petit détachement de moins de dix soldats escaladèrent le versant Nord, le plus abrupt, pénétrèrent dans l’édifice et ouvrirent la porte principale aux restes de l’armée (Figure 10)8. Il semble également que Takenaka Hanbei insista auprès de Hideyoshi pour que les Saitō aient la vie sauve après la chute du château. Il s’agissait semble-t-il d’une condition à respecter pour que Hanbei rejoigne définitivement le camp de Hideyoshi et de Nobunaga9. Cette condition pouvait avoir deux objectifs. D’un point de vue des valeurs éthiques, elle permettait à Hanbei d’accomplir jusqu’au bout son obligation de fidélité envers ses anciens seigneurs. D’un point de vue purement stratégique, cette clémence devait limiter les sentiments de vengeance au sein de la famille Saitō et permettre ainsi à Oda Nobunaga de devenir le maître incontesté de Mino. Après la bataille, Oda Nobunaga fit de ce château – renommé Gifu – sa résidence principale jusqu’en 1575.

3.1.3. L’attaque du château de Mitsukuri de la province d’Omi (1568)

Après la conquête de la province de Mino, les efforts d’Oda Nobunaga se concentrèrent sur la province d’Ōmi. Le contrôle de cette province lui ouvrait ainsi la route vers Kyōto, la capitale impériale. Son but est éclairé par le contexte politique : le shōgun Ashikaga Yoshiteru avait été assassiné à Kyōto en 1563. Son frère Ashikaga Yoshiaki avait trouvé en Nobunaga un protecteur qui devait l’aider à rétablir l’institution shogunale ; Nobunaga, avait trouvé, quant à lui, un prétexte bien légitime pour étendre son pouvoir sur la capitale. Pour réaliser ce projet, il devait traverser la province d’Ōmi (Figure 11). Dès 1564, Nobunaga avait créé un lien privilégié avec Azai Nagasama, puissant daimyō qui contrôlait le nord de la province10. Cependant, de nombreux seigneurs de la province n’approuvaient pas cette alliance et se montraient décider à ne pas laisser Nobunaga atteindre Kyōto. Ce fut le cas du clan Rokkaku, maître du château de Kan’onji qui contrôlait le sud de la province d’Ōmi. L’affrontement entre Rokkaku Yoshikata et Oda Nobunaga eut lieu en septembre 1568. Ce dernier franchit la rivière Aichi puis divisa son armée en trois : Inaba Yoshimichi dirigea l’attaque contre le château de Wadayama, Shibata Katsuie et Mori Yoshinari attaquèrent le château de Kan’onji tandis qu’Oda Nobunaga, Takigawa Kazumasu, Niwa Nagahide etToyotomi Hideyoshi lancèrent l’assaut contre le château de Mitsukuri (Figure12). D’après le Shinchō ki rédigé par le prêtre Hoan Oze, Hanbei participa à l’attaque de ce dernier château11.

La bataille débuta par l’assaut contre le château de Mitsukuri. Les 2300 soldats dirigés par Hideyoshi attaquèrent l’entrée Nord tandis que 300 de Niwa Nagahide attaquèrent l’entrée Est. L’assaut fut un échec : le château était naturellement protégé par des pentes abruptes couvertes de grands arbres et la défense mise en place par Yoshida Idzumo-no-kami fut efficace. Vers 5h de l’après-midi, les assaillants se replièrent. Les officiers de Hideyoshi délibérèrent et décidèrent d’adopter une nouvelle stratégie : une attaque nocturne. Une centaine de torches furent préparées et les soldats se dispersèrent à cinquante endroits différents au milieu de la forêt. Puis ils allumèrent les torches. Il s’agissait d’un signal (aizu / 合図) pour coordonner l’attaque depuis des points différents. Les soldats de Mitsukuri furent surpris et pris au dépourvu, ils ne s’attendaient pas à une attaque nocturne juste après un affrontement qui avait duré sept heures. Malgré leur résistance, le château tomba avant le lever du jour, les combats furent violents et près de 200 têtes ennemies furent accrochées en haut de piques. Les soldats du château de Wadayama s’enfuirent alors sans combattre en apprenant cette nouvelle. À son tour, Rokkaku Yoshikata abandonna le château de Kan’onji la même journée pour se replier à Koga. Le sud de la province d’Ōmi passa ainsi sous la domination d’Oda Nobunaga qui put ainsi gagner la ville de Kyōto12.

3.2. Les guerres contre les familles Asakura et Azai (1570-1573)

Depuis Kyōto, Nobunaga décida de se lancer dans la conquête de la province d’Echizen tenue par Asakura Yoshikage, alliée d’Azai Nagasama qui avait épousé la soeur de Nobunaga. La guerre entre les différentes familles dura trois ans (1570-1573). Le Toyo Kagami précise que Takenaka Hanbei joua un rôle décisif au cours de plusieurs de ces batailles :

Durant la guerre opposant l’armée d’Oda aux troupes alliées d’Asakura et d’Azai, Hanbei continua de démontrer son génie militaire. Il permit à Tokichiro [= Hideyoshi] d’obtenir victoire et honneur en sauvant Nobunaga d’un grave danger lors de la “retraite de Kanegasaki [=1570]. Il le servit également avec succès dans la défense du château de Yokoyama [1572]”.

3.2.1. La retraite de Kanegasaki (avril 1570)

En avril 1570, Oda Nobunaga lança depuis Kyōto une grande campagne militaire pour envahir la province d’Echizen alors aux mains d’Asakura Yoshikage. Pour envahir Echizen, il devait s’assurer de la loyauté des daimyō de la province d’Ōmi. Pour cela, il chargea Takenaka Hanbei de nouer des relations diplomatiques avec Higuchi Naofusa, l’un des administrateurs de Hori Hide Mura, seigneur du district de Sakata, au nord de la province13. Il supposa également qu’Azai Nagamasa, son beau-frère, qui contrôlait le reste de la province d’Ōmi ne viendrait pas en aide à son allié Asakura Yoshikage.
Oda Nobunaga et son avant-garde menée par Tokugawa Ieyasu sont entrés par le sud de la province d’Echizen en prenant plusieurs places fortes telles que Kuniyoshi et Kanegasaki. Depuis Kanegasaki, les soldats empruntèrent le col de Kinome pour se diriger vers Ichijōdani, le château d’Asakura. À ce moment-là, Nobunaga fut averti qu’Azai Nagasama avait fait défection et que son armée avançait vers Kanegasaki. La position de Nobunaga pourrait très vite devenir intenable : il devait faire face aux soldats d’Asakura sur le front nord tandis que les troupes d’Azai pouvaient les attaquer à revers coupant ainsi toute possibilité de retraite. Nobunaga chargea alorsToyotomi Hideyoshi de freiner d’au moins une journée l’avancée des troupes d’Asakura le temps pour lui – accompagné d’un petit détachement – de battre en retraite à travers la vallée de Kutsuki et de rejoindre Kyōto (Figure 14).
Le Toyo Kagami précise que Hanbei joua un rôle important dans cette retraite. On peut ainsi penser que Takenaka Hanbei contribua à mettre en place la stratégie utilisée par les troupes commandées par Hideyoshi pour gagner ce temps précieux pour Nobunaga. Hideyoshi prépara soigneusement l’arrivée des soldats d’Asakura à l’aide d’une ruse s’appuyant sur des camps de tromperie (Giman jinchi /欺瞞陣地). Il installa un premier camp gardé par un petit groupe de soldats au Nord de la plaine de Tsuruga au sortir d’une route montagneuse très étroite. Il plaça également de petits groupes de soldats dans les châteaux de Kanegasaki et de Tezutsuyama. Le gros des troupes dont dispose Hideyoshi était, quant à lui, basé dans un camp principal situé en contrebas, dans la plaine de Tsuruga, sur le fleuve Shōnokawa. L’avant-garde d’Asakura qui avançait vers la plaine de Tsuruga fut dupée par les camps factices. Les soldats interrompirent leur progression pour élaborer une stratégie d’attaque : il fallut prévoir le siège des deux châteaux et l’attaque du camp militaire. Après une demi-journée de réflexion, les soldats d’Asakura attaquèrent. Les unités de Hideyoshi abandonnèrent leurs postes pour rejoindre le camp principal en plaine. Ils mirent alors le feu aux mottes de paille qui entouraient le camp pour créer ainsi un rideau de feu et ralentir les hommes d’Asakura. Les troupes de Hideyoshi traversèrent alors la plaine de Tsuruga pour se poster au niveau de Sekitōge. De là, ils réussirent à attaquer de revers l’avant-garde d’Asakura qui dut se replier. La nuit tomba alors et Hideyoshi et ses soldats avaient permis à Oda Nobunaga de rejoindre Kyōto sain et sauf (Figure 15)14.

3.2.2. La bataille d’Anegawa et l’exploit de Takenaka Kyusaku (juillet 1570)

À la fin du mois de juillet 1570, Nobunaga lança une nouvelle campagne militaire appuyée par les soldats de Tokugawa Ieyasu. Les chroniques rapportent que Nobunaga aligna 500 arquebusiers pour cette bataille. La confrontation a lieu sur la rivière d’Anegawa, aux pieds des châteaux de Yokoyama et d’Odani (Figure 16). Les forces d’Oda et de Tokugawa remportèrent une large victoire contre les troupes alliées d’Azai et d’Asakura. Au cours de la bataille, le frère de Takenaka Hanbei accomplit un exploit qui resta dans les annales. La Chronique de Nobunaga (Shinchō kōki) enregistre le nom de Takenaka Kyusaku parmi les soldats qui se sont distingués au cours de la bataille en précisant qu’il a coupé la tête d’Endo Naotsune. Ce dernier était un officier au service d’Azai Nagasama. Durant la bataille d’Anegawa, il se camoufla en soldat de Nobunaga pour s’en approcher, mais Kyusaku le tua avant qu’il n’atteigne Nobunaga.

Malgré cette victoire dans la plaine, Nobunaga jugea imprudent de soutenir à ce moment-là le siège du château d’Odani considéré comme l’une des forteresses les mieux protégées du Japon. Cependant, il ordonna à ses troupes de s’emparer du château de Yokoyama, situé à moins de 10 kilomètres d’Odani. Ce château devait servir d’avant-poste pour une prochaine attaque d’envergure contre le château d’Odani occupé par Asai Nagasama. La garde de Yokoyama fut confiée à Toyotomi Hideyoshi et à Takenaka Hanbei.

Figure 15. Environnement géographique de la bataille d'Anegawa.
Figure 16. Environnement géographique de la bataille d’Anegawa.

3.2.3. La destruction du château d’Odani d’après un plan d’attaque élaboré par Takenaka hanbei (1573)

Jusqu’en 1573, Toyotomi Hideyoshi occupait le château de Yokoyama. En son absence, Takenaka Hanbei prenait le rôle de “commandant de la garde” (shushō / 守将). Alors que Hideyoshi se trouvait auprès d’Oda Nobunaga dans le château de Gifu lors du Nouvel An de l’an 3 de l’ère Genki (1573), Hanbei repoussa une attaque des soldats d’Azai Nagamasa contre Yokoyama. Au mois d’août de la même année, Nobunaga ordonna le siège du château d’Odani gardé par Azai Nagasama et son père Azai Hisamasa.

La stratégie de l’assaut fut confiée à Takenaka Hanbei. Odani est une forteresse de montagne composée d’une série complexe de mottes castrales nommées en japonais maru (丸). Il s’agit de zones concentriques fortifiées abritant la maison du daimyō, des quartiers d’habitations, des entrepôts, etc. qui communiquent entre elles par des portes. Dans le château d’Odani, la partie centrale, Honmaru (本丸), abrite le donjon et est gardée par Azai Nagasama et ses soldats. Azai Hisamasa et ses troupes sont stationnés, quant à eux, à Komaru (小丸), une zone fortifiée située plus au Nord de l’ensemble. Takenaka Hanbei conseilla à Toyotomi Hideyoshi d’attaquer la partie centrale de la forteresse nommée Kyōgokumaru (京極丸) pour isoler Nagasama et Hisamasa (Figure 17). Puis, les deux chefs de la famille Azai furent chacun acculés par les soldats de Hideyoshi et de Nobunaga et poussés au suicide15. Pour assurer définitivement le pouvoir d’Oda Nobunaga sur la province d’Ōmi, Toyotomi Hideyoshi établit sa résidence à quelques kilomètres au sud-ouest de Yokoyama, près du lac de Biwa.

Odani_attaque
Figure 17. Schéma de l’attaque du château d’Odani (août 1573). La ligne rouge représente l’attaque des soldats de Hideyoshi Toyotomi contre la partie centrale de la forteresse nommée Kyōgokumaru (n°3). Asai Nagasama se trouve à Honmaru (n°13) et Asai Hisamasa à Komaru (n°14) [Source : Ōta Tadashi, Sengoku saikyō no gunshi Kuroda Kanbee to Takenaka Hanbee (en japonais), Revue d’Histoire Yōsensha Mook rekishi Real, 09/2013, p. 89].

Références

1 Sugino Yoshio et Ito Kikue, Tenshin Shōden Katōri Shintō Ryu Budō Kyōhan : Die Kampfkunst-Lehrmethode des Tenshin Shoden Katori Shinto Ryu, Books on Demand GMBH, 2010, p.34 [Traduction allemande de Tenshin Shōden Katōri Shintō Ryu Budō Kyōhan, Nishikawa Kiuemion Press 1941] et Otake Risuke, Katori-shintō-ryū. Héritage et tradition. Le Sabre et le Divin, Budo Édition, Noisy-sur-École, 2011, p. 43 [Traduction française de : Katori-shintō-ryū, Warrior Tradition, Koryu Books, New Jersey, 2007].
2 Otake Risuke, op. cit. 2011, p. 247.
3 D’après la Noda-ha, Hanbei se situait donc juste en dessous des “chefs-instructeurs” (sūseki-shihan) qui avaient reçu quant à eux le gokui-kaiden, le troisième et dernier rouleau qui contient les techniques les plus secrètes de l’école (cf. Ellis Amdur, Old School. Essays on Japanese Martial Traditions. Expanded version, Freelance Academy Press, Wheaton, 2013 [version numérique]).
4 Le Toyo-Kagami (豊鑑) paru en 1631 est une biographie de Toyotomi Hideyoshi rédigée par Takenaka Shigekado. Plusieurs passages concernent la vie de Takanaka Hanbei. Ces passages ont été traduits en anglais par Fumiyo Saienji dans un ouvrage numérique intitulé : The SAMURAI Takenaka Hanbei (Warriors stories Book 3), oh!can CO.,LTD, 2010.
5 Voir Ōta Tadashi, Sengoku saikyō no gunshi Kuroda Kanbee to Takenaka Hanbee (en japonais), Revue d’Histoire Yōsensha Mook rekishi Real, 09/2013, p.84-85.
6 Ōta Tadashi, op. cit. supra, p.88.
7 Passages du Ehon-Taikōki cités dans Ōta Tadashi, op. cit. supra, p.86-87.
8 Pour plus de détails sur la prise de ce château par Hideyoshi Toyotomi voir l’article de wikipédia intitulé Siège du château d’Inabayama.
9 Danielle Elisseff, Hideyoshi, bâtiseur du Japon moderne, Paris, 1986, p.58.
10 Danielle Elisseff, op. cit. supra, p.72-73.
11 Référence citée dans Ōta Tadashi, op. cit. supra, p.88.
12 Les informations concernant la prise du château de Mitsukuri sont tirées de l’article Kan’nonjijō-no-tatakai de wikipédia (en japonais).
13 Ōta Tadashi, op. cit. supra, p.89.
14 Informations tirées de Sankō bunken: Rekishigunzō ākaibu vol. 2 Senjutsu nyūmon tsuigeki ridatsu chitai kōdō. On trouvera un résumé de cet article que nous n’avons pas pu consulter sur cette page internet à travers ce lien (en japonais).
15 Ōta Tadashi, op. cit. supra, p.89.

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